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Natydred, Photographe

Nathalie Sauvegrain aka Natydred est une photographe basée à Paris. Elle a fait des photos de pub (Orangina, Seat, Powerade…), de mode (NACO-PARIS) et est désormais spécialisée dans les portraits de musiciens et la réalisation de clips. L’interview qu’elle nous a accordée est l’occasion de découvrir davantage cette artiste qui place la rencontre humaine au cœur de son travail.

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Parle-nous de ton parcours photographique ?

J’ai passé les années 70 en Alsace et les années 80 à Bordeaux. J’ai toujours adoré voyager et rencontrer des gens de tous univers, avec une attirance spéciale pour les personnes créatives. Je vis à Paris depuis 18 ans. Après des études d’audiovisuel, j’ai travaillé en tant que journaliste pour l’agence Bronx. J’ai réalisé mes premières prises de vue professionnelles en 98 en débutant au 6×6 argentique par des illustrations d’articles de presse pour me faire la main, puis très rapidement des portraits de musiciens, un passage par la pub, le reportage, la nature morte et un peu de mode. Grâce au numérique par la suite, j’ai pu me pencher sur des projets plus personnels, des expos et des clips. Mais les photos ont toujours eu une valeur extrêmement précieuse dans ma vie, même si croire que l’on peut “graver” des âmes sur du papier paraît absurde, c’est juste une tentative, une quête parfois quasi palpable. Un travail curatif qui m’aide à exprimer un manque sans pouvoir toutefois jamais le combler. Une nécessité de mémorisation du temps aussi : saisir des instants de vie comme si elle devait s’arrêter demain. Une passion tournée en obsession qui s’est subtilement raffinée au cours des expériences.



Quels sont les photographes qui ont été une source d’inspiration ?

Je ne me souviens pas avoir été inspirée par des photographes en particulier, à part certains nus d’Helmut Newton, je trouvais ses modèles moins tartignolles que ce qu’offraient la plupart des magazines féminins. Mais il s’agissait surtout d’attitude provocatrice. Je m’intéressais davantage au cinéma et abonnée à Première et Studio, je découpais les portraits les plus forts pour en faire des grands collages en habillant des meubles de récup. Mes premiers attachements photographiques émanaient davantage des sujets eux-mêmes, je parle d’artistes (chanteurs mais aussi acteurs, peintres, écrivains…) que j’admirais à l’époque. Ma plus grande source d’inspiration vient de l’esthétisme et du graphisme de certaines pochettes d’album : Madness, The Specials, Serge Gainsbourg, The Clash, je pense aussi à “Look sharp !” de Joe Jackson et Concerto pour détraqués des Bérus… Le grand format des photos des 33 tours a véritablement attisé ma curiosité en matière d’image et de musique. Ma première attirance visuelle s’est donc d’abord concentrée sur le noir et blanc contrasté, via une certaine culture rock de mes 15 ans. J’avais même construit un univers de noir et blanc absolu dans ma chambre (sol en damiers, murs blancs, tissus noirs, meubles argentés, j’avais viré toutes les couleurs autour de moi, de mes habits aussi) et je m’amusais à photographier mes potes dans ce décor. Quand j’en ai eu marre, j’ai réintroduit des touches de rouge et là, je suis partie dans une période pop un peu extrême : j’ai découvert la bouche des Stones et la banane de Warhol des Velvet Underground ! Sans oublier bien sûr les couleurs et le message positif du reggae, ces quelques rayons de soleil ont illuminé mon adolescence. Mais en général, j’aime l’intemporalité du noir et blanc, la force des contrastes et du style.


As-tu des regrets en matière d’image ?

Les regrets, c’est la loose. J’ai heureusement encore pleins de petits rêves que j’essaie de réaliser peu à peu, je fais confiance aux bonnes surprises que réserve parfois le destin. Mais, je n’oublie pas de provoquer des rencontres en voyageant le plus possible par exemple. Avec les années, j’essaie d’apprécier davantage l’épanouissement de la satisfaction de l’instant présent. Je me surprends à découvrir simplement de belles émotions émanant de paysages naturels. Mais bon, si Sean Penn, Jim Jarmush ou Vincent Gallo m’étaient offerts dans mon cadre, je ne partirais pas admirer la lumière d’un couché de soleil, aussi puissant soit-il !

Au travers de tes photos, que tentes-tu d’exprimer ?

Ce sont des émotions personnelles, quand j’arrive à les exprimer, j’en pleure de bonheur, mais c’est très rare… Le plaisir n’existe réellement que lorsqu’il est partagé. Si la personne ne s’aime pas sur une photo qui pourtant me parle, ce plaisir disparaît pour faire place au doute. Concernant les musiciens, quand un de leur morceau me procure une agréable sensation, j’ai envie de rendre hommage à son auteur. Je tente de dégager en image la même authenticité et sensibilité créative. C’est inévitablement un partage artistique.


Quelles sont les conditions optimales pour qu’une séance photo soit réussie ?

La spontanéité magique des bonnes vibrations… La confiance est nécessaire, du bon son, ça aide aussi ! Une séance photo réussie, c’est quand la personne que j’ai en face de moi passe sincèrement un bon moment, s’amuse et communique naturellement. Pour cela il faut être techniquement prêt et disponible au feeling. Sans assistant, c’est parfois chaud de s’occuper de tout en même temps mais plus intime aussi donc plus cool.

Quel regard portes-tu sur la photographie contemporaine ?

L’aspect pécuniaire de “l’intention de shoot” de l’argentique me semblait différent. La valeur que représentait le simple geste d’appuyer sur le déclencheur a changé depuis l’ère du numérique. Concernant l’intensité d’un propos : c’est comme quand on va voir un psy, même si le temps reste compté, si la séance est gratos, on ne dit pas les mêmes choses quand on met du cash sur la table pour être entendu.

Les photographes dont tu apprécies le travail ?

La force des ombres de Nigel Parry, les regards de Steve Mc Curry, l’humour d’Elliott Erwitt, la simplicité de Patrick Swirc, les rues de William Klein, l’atmosphère de Larry Clark, les paysages de Jean-Loup Sieff, le témoignage des années 60 de Dennis Hopper, les choix de Mondino ou la carrière d’Annie Leibovitz… De nombreux photographes contemporains et leurs années consacrées à l’image forcent mon admiration.

Moby, P.J Harvey, M ou encore Iggy Pop… Parmi tous les portraits de stars que tu as réalisé, lequel t’a le plus touché ? Aurais-tu une anecdote ?

La séance avec Iggy Pop restera sans aucun doute celle qui m’a le plus émue : dans un de mes rêves de jeune fille, je rencontrais Iggy en flânant dans une rue de Manhattan et je me voyais discuter avec lui seule à seul un instant. Dans la réalité, Philippe Manœuvre m’a offert un rendez-vous avec LA légende punk vivante au Mercer Hotel dans ce New York pré-11 septembre 2001. Je reste encore bouche bée devant un tel charisme, sa voix grave, son petit sourire en coin… Personne d’autre ne m’a plus jamais fait cet effet-là.

L’anecdote la plus frappante, c’est avec PJ Harvey : dans sa chambre d’hôtel, elle a d’abord refusé de poser sur le lit, “too suggestive” m’a t-elle dit, je l’avais vue sur scène à ses débuts et je m’attendais à rencontrer une artiste plus déjantée. Alors j’ai shooté une pelloche dans la salle de bain et près de la fenêtre. Puis on a décidé de faire quelques photos en extérieur toutes les deux et au moment de traverser la rue de sa petite ville anglaise du Dorset, par réflexe, j’ai regardé à gauche et j’ai senti violemment son bras sur mon ventre… sans elle, je serais sans doute écrabouillée par un taxi. Oui, PJ Harvey m’a sauvé la vie en l’an 2000 ! L’émotion m’a fait relativiser le stress que me procurait cette séance.

Tu as réalisé des clips notamment ceux de Simone elle est bonne et de France De Griessen. Ces clips sont dépourvus de décor tout comme la plupart de tes portraits, peux-tu nous expliquer ce choix ?

Le dépouillement du décor permet de valoriser l’essentiel – l’âme du sujet – et de garder une certaine intemporalité. C’est avant tout la mise en avant d’une personne qui exprime un univers par une attitude, une sensibilité… Mais je sais qu’un décor peut facilement aider à renforcer une personnalité.

Si tu devais choisir entre réalisation et photographie ?

Quand je fais des photos, j’ai parfois envie de filmer et quand je tourne, je ne peux m’empêcher d’arrêter l’instant… Ce n’est pas une éternelle insatisfaction de ma part, j’ai envie d’un tout, alors difficile de faire un choix car les deux sont complémentaires. Pareil dans la vie, j’essaie de trouver le bon équilibre dans un ensemble : des concessions entre une vie de famille et des obligations de travail et la liberté que j’aimerais avant tout sauvegarder, c’est le luxe du temps pour l’expression artistique.

Des projets ?

Avant de refaire des expos, je me concentre sur la réalisation de maquettes pour l’édition d’un livre reliant des personnages avec des paysages. J’ai également un projet artistique en cours qui me tient à cœur : un concept photo en hommage à mon père. Mais, il n’est pas encore assez abouti dans mon esprit pour en parler.

 Un coup de gueule ?

Pour revenir à la photographie d’aujourd’hui, ce qui me désole depuis le numérique, c’est quand le “client” ne saisit pas l’impact du choix d’une photo, il veut la série entière. Mais pourquoi faire ?! Or, en exigeant un choix plus vaste et une plus grande rapidité de développement, même si ça fait partie du travail du photographe depuis que les labos n’interviennent plus que pour les tirages papier, ça limite le recul du regard sur une photo. Bref, trop de photos tuent La photo. Le côté chiant aussi depuis quelques années, c’est le nombre croissant de photographes qui forme un mur entre les groupes sur scène et le public. Pour ma part, je n’aime pas faire de photos de live, je préfère vivre la musique, danser, profiter du concert plutôt que de capter indéfiniment des expressions en sueur sous une lumière souvent foireuse avec des micros qui cachent les visages. De plus, beaucoup d’amateurs livrent gracieusement leurs milliers de clichés sur le net, ce qui tue les droits d’auteur pour les professionnels spécialisés qui essaient de vivre de leur passion. L’activité photo devient alors gratuite et souvent médiocre. Mais c’est l’époque qui veut ça. (Pareil pour l’accessibilité des groupes de musique, le nombre de merdes qu’on doit infliger à ses oreilles avant de trouver la perle rare !). Bon voilà, je choisis de privilégier la rencontre du regard unique et le travail de ma propre lumière en studio. Cependant, au temps de l’argentique, j’osais moins les risques techniques, le numérique a tout de même libéré une certaine angoisse et m’a permis de progresser. Alors vive le numérique malgré tout, chacun peut se faire plaisir pour des nèfles ou presque, tant mieux. Par contre, il faut savoir respecter le copyright, la reconnaissance d’un travail. Le ©, c’est pas fait pour les chiens. A bon entendeur, salut !

14 comments

  1. Je pense que vous êtes la fille de Monique et Alain bien trop tôt disparu en 1976 si je ne me trompe. De bon copains, avec les Moynets repartis vers Toulouse et à qui nous avons rendu visite quelques fois. Bien des choses à votre maman et félicitations pour votre réussite professionnelle. Cordialement.

  2. Nathalie , je me le temps passe si vite , nous étions à l’école ensemble , j’était tres amoureux de toi , nous avions 4 ou 5 ans .
    C’est rigolo de me replonger dans des souvenirs d’enfant .

    1. Antony… Que c’est mignon !! Ça me dit quelque chose en maternelle.. À Mulhouse ?? Quelle coïncidence, quelle mémoire, c’est joli. Merci 🙂

  3. Je tombe par hasard sur cette page. Je suis très émue… je te savais talentueuse…Bravo..
    MO

  4. une interview forte et vraie, pleine de sensibilité et de passion…
    Je suis extremement sensible au travail de cette artiste bourrée de talent, un putain de BRAVO et un putain de MERCI pour ces photos hallucinantes….Big up à Nathalie Sauvegrain!!!!!!

  5. Bel entretien et bon choix de photos. Bravo Naty pour tes choix artistiques.

  6. Big up à la photographe et clippeuse des rockeuses !!!!
    Autant de créativité que de talent pour mettre en oeuvres ses idées, voilà qui est rare et précieux : ça c'est Natydred !
    On est nombreu(ses)x à croire très fort en toi !!

  7. Une artiste que je connais depuis quelques temps et qui m'a donné l'envie de me mettre à la photographie (à mon humble niveau bien sûr), bref une vraie artiste et une vraie personnalité comme il en faudrait plus dans le paysage artistique français.

    j'adore

    Vince

  8. Une sensibilité artistique et visuelle très touchante qui transpire également à travers les mots d'une expression sans filet, sincère. Ca fait du bien !

  9. Des réponses profondes à des questions pertinentes. Bref, une interview passionnante ! Bravo à toutes les deux.

  10. Excellente interview qui nous fait découvrir une artiste complète et….rock n roll !

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