Alejandro Amenabar pour Agora

Le moins que l’on puisse dire c’est que cette année aura été riche en événements pour la cinéphage que je suis. J’aurais couvert mon premier Festival, interviewé Terry Gilliam, écumé les avant-premières et même eu l’opportunité de rencontrer le réalisateur oscarisé, Alejandro Amenabar dans l’intimité d’un hôtel particulier à Montmartre.

Petit flash-back sur sa carrière. En 96, il réalise son premier long métrage TESIS qui aborde l’univers des snuff movies et remporte six Goya, l’équivalent des césars en Espagne. Un an plus tard, il réédite ce succès avec le thriller fantastique OUVRE LES YEUX qui fera l’objet d’un remake américain avec Tom Cruise, VANILLA SKY.

En 2000, il tourne son premier film en anglais, LES AUTRES avec Nicole Kidman et il faudra attendre quatre ans avant de pouvoir le retrouver derrière la caméra avec MAR ARDENTRO qui sera couronné par l’oscar du Meilleur Film Étranger.

En attendant le 06 janvier 2010, date à laquelle sortira son prochain film, AGORA, je vous propose de découvrir Alejandro Amenabar au travers d’une entrevue privilégiée.

Lors de l’avant-première vous évoquiez les extra-terrestres, pourriez-vous nous en dire plus ?

Lorsque j’abordais avec des amis, la possibilité d’une vie extra-terrestre, j’étais surpris que plusieurs d’entre eux n’y croient pas du tout. Alors, je me suis intéressé à l’astronomie, j’ai beaucoup lu et acheté la collection “Cosmos” de Carl Sagan où il y développe des calculs sur la probabilité de la présence d’extra-terrestres. Dans cette série, il y mentionne d’ailleurs la bibliothèque d’Alexandrie et le personnage d’Hypathie. Avec Mateo Gil, nous avions décidé de faire un film retraçant les 20 siècles d’histoire de l’Astronomie mais lorsqu’on s’est aperçu que cela représentait un projet trop important, nous avons choisi de nous concentrer sur Hypatie. Toutefois, je n’ai jamais voulu mettre de côté la dimension cosmologique que je voulais dans mon film. C’est pourquoi, j’ai décidé de montrer la Terre comme une planète qui nous est complètement étrangère, qu’on observe de loin.

Dans AGORA, les Chrétiens sont les oppresseurs alors que la plupart du temps, ils ont plutôt un rôle de victimes. Pourquoi avoir choisi ce pan de l’Histoire ?

Effectivement mon film parle d’une partie de l’histoire du Christianisme qui n’a pas été souvent portée à l’écran. Mais j’ai essayé de mettre tous les groupes religieux sur le même plan. Lors de la destruction de la bibliothèque ce sont d’abord les Païens qui ont attaqués les Chrétiens, puis ce sont les Chrétiens et les juifs qui sont devenus les oppresseurs des Païens. Et dans la deuxième partie du film, la réaction de Cyrille (le chef des Chrétiens) est provoquée par l’attaque des Juifs. Finalement, l’acte le plus barbare et impitoyable sera perpétré par un groupuscule de Chrétiens. Et il était inacceptable pour moi de savoir que des Chrétiens aient commis un tel acte au nom de Jésus devant un Autel. C’était important pour moi de montrer cette période là car je pouvais traiter à la fois de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, du déclin de l’empire Romain, du début du moyen âge et du début des persécutions contre les Juifs.

Les clivages religieux sont malheureusement intemporels puisqu’ils perdurent encore de nos jours. Le film est un plaidoyer contre les extrémistes de tous bords et met en lumière un besoin commun à tous, celui de croire en quelque chose. Et vous, en quoi croyez-vous ?

Personnellement, cela fait des années que je n’ai plus de foi, je crois à la Raison et au bon sens comme voie pour se comporter dans la vie. Je crois en l’être humain. Un de mes comédiens qui est Chrétien m’a demandé quels sont mes paramètres éthiques pour me conduire dans la vie. Je lui ai simplement répondu que je ne faisais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’ils me fassent. Je m’intéresse à l’hystérie collective qu’il y a autour des religions. Et les changements de perspectives dans mon film concernent aussi bien l’espace que le temps. Je voulais montrer que si on s’éloigne de cette Terre et que l’on ausculte celle-ci, on se rend compte que c’est la même histoire qui se répète sur des années. Mon film s’appelle AGORA car je pense que sur Terre, il doit y avoir un lieu où peut coexister la diversité et où les gens peuvent dialoguer. Je tenais beaucoup à le montrer.

Selon vous, est-ce que dans le monde actuel, il existe un endroit semblable à l’Agora ?

Internet… Sinon, le plateau était une véritable Agora avec les 20 nationalités qui s’y côtoyaient.

Pouvez-nous parler du choix de Michaël Lonsdale pour le rôle du père d’Hypatie ?

C’est un homme très spécial, parfait pour jouer le rôle d’un intellectuel. Il est si calme qu’on ne sait pas ce qu’il pense. Ainsi au début, je croyais qu’il ne m’aimait pas mais la maquilleuse m’a assuré que c’était loin d’être le cas.

Rachel Weisz et Michaël Lonsdale

Pourquoi avoir porté votre choix sur Rachel Weisz ?

Parce qu’elle a beaucoup de talent, qu’elle est belle et qu’elle a les traits méditerranéens du personnage. Qui plus est, comme elle est diplômée de l’Université, je pensais qu’elle serait touchée par l’aspect intellectuel du rôle. J’ai eu la chance qu’elle accepte tout de suite. C’est avec elle que j’ai eu le rapport le plus facile lors du tournage.

Quelle est la part de fiction dans l’histoire d’Hypatie ?

Les chroniques racontent que c’était une femme très belle mais toutes les chroniques parlant de femmes légendaires disent qu’elles étaient belles… La plupart des éléments du film sont véridiques notamment l’anecdote du mouchoir ensanglanté mais l’histoire concernant l’esclave est inventée.

Est-ce que le film se veut féministe ?

Oui bien sûr. C’est un film qui mène une réflexion sur la condition des femmes à travers l’histoire. Même si dans les époques qui suivirent comme le moyen âge, les femmes étaient confiner et n’avaient pas le droit de citer, je voulais montrer que bien avant cela, à l’ère gréco-romaine, les femmes comme Hypatie pouvaient s’exprimer librement.

Alejandro Aménabar dirigeant Rachel Weisz

C’est la première fois que vous deviez gérer autant de monde et de décors sur un film, est-ce que vous avez changé votre méthode de travail ? Est-ce que le budget plus important que sur vos précédentes productions a créé une pression supplémentaire ?

Ma façon de travailler n’a pas beaucoup changée, évidemment tout s’est fait à une plus grande échelle mais les infrastructures mises en places m’ont permis de m’y retrouver. Je pensais que ça serait beaucoup plus compliqué. Mon plus grand souci était d’optimiser les ressources et de faire un maximum de choses avec le budget donné. Il a fallu concilier ce budget avec une liberté créatrice absolue. Alors, je m’y suis pris comme lors de mon premier film pour rationaliser les besoins.

Dans vos précédents films, vous vous occupiez de la musique, pourquoi avoir choisi de déléguer cette fois-ci ?

Après m’être occupé de la musique de “Mar Edranto” qui était une expérience très enrichissante, j’ai souhaité confier cette tâche à quelqu’un d’autre. J’ai choisi Dario Marianelli car j’admire son travail et je lui ai laissé l’opportunité d’aborder ce que je n’aurais pas osé faire.

Sur le tournage du péplum AGORA

Une fois de plus, vous vous essayez à un nouveau genre pour AGORA, avez-vous une idée de ce que sera votre prochain film ?

Je ne pense pas refaire un drame historique dans l’Empire Romain. Changer de genre me permet de me renouveler et de m’amuser. Dans le cas particulier du film “Les Autres”, j’avais envie de faire un film d’horreur mais pour AGORA ce n’était pas prémédité. Pour ce qui est de mon prochain projet, il faut d’abord que je me sente libre et du temps doit d’abord s’écouler… Je vais peut-être faire un nouvel AVATAR.

Vous citez AVATAR, pouvez-vous me dire quels sont les films que vous avez apprécié cette année ?

Alors il y a eu le film suédois MORSE, THE READER et DOUTE.