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Interview Laura Nsafou alias Mrs Roots

Laura Nsafou, autrice engagée

Depuis plus de quatre ans, Laura Nsafou nous parle des littératures afro et d’afroféminisme sur Mrsroots.fr. Blogueuse engagée, cette orléanaise de 25 ans qui vit et travaille désormais à Paris a également publié l’an dernier deux ouvrages attestant de sa volonté d’injecter plus de diversité au sein de l’édition française.

Rencontre avec une jeune auteure très inspirante.

Comment est née l’envie d’écrire ?

Mon premier souvenir remonte en primaire, je crois. J’avais dessiné une histoire avec des héros noirs essayant de mettre fin au braconnage d’éléphants d’Afrique et scotché toutes ces feuilles pour en faire un livre. J’étais très fière 😆
C’est survenu assez tôt, surtout parce que je ne voyais pas de personnages comme moi dans la littérature jeunesse.

Quelle place tient l’écriture dans ta vie ?

Je n’ai pas de mal à m’y consacrer, mais plus à me discipliner 😆
J’écris tout le temps. Dans le métro, lors de mes pauses, le soir en rentrant, le week-end, dès que j’ai du temps. Maintenant, j’essaie de me réserver deux soirées dans la semaine et quelques heures dans le week-end, histoire de ne pas finir ermite.

Raconte-nous l’aventure de ta première édition.

Mon premier roman CALLIE, JUSTE VOUS ET MOI – qui n’est plus disponible aujourd’hui. Je l’ai écrit très jeune, et l’ai vu publier à 16 ans. J’avais tellement envie d’échanger avec des lecteurs que je n’ai pas eu peur de passer le cap. Je l’ai envoyé à un petit éditeur indépendant, mais ça ne s’est pas très bien passé pour la diffusion. Avec du recul, j’étais trop jeune et ne connaissais pas les rouages du monde de l’édition.
Heureusement, j’ai eu une meilleure expérience avec les Éditions Synapse, pour mon roman A MAINS NUES. Ils m’ont vraiment accompagnée, tant dans la réécriture que dans le processus. Ça m’a permis de mûrir mon écriture, mais aussi d’être forte de proposition, pour la couverture, par exemple.

Ensuite, tu as écrit les jolis textes de COMME UN MILLION DE PAPILLONS NOIRS. Quel fut la genèse de cet album jeunesse qui prône l’empathie et l’estime de soi ?

La fondatrice des Éditions Bilibok a lu un de mes textes mettant en lumière le manque de représentation diversifiée dans la littérature jeunesse en France, et m’a proposé que l’on se rencontre.
Nous connaissions toutes les deux le travail de Toni Morrison [romancière afro-américaine, lauréate d’un Prix Pulitzer et d’un prix Nobel de littérature], alors quand elle m’a proposé d’écrire un album à partir d’une citation d’un des ses romans : “… ses cheveux, semblables à un million de papillons noirs endormis sur sa tête” [“God help the child”, paru en 2015], c’était une aventure que je ne pouvais pas refuser ! 😆
Ici, le but était de valoriser le cheveu afro, et d’y apporter de la poésie, et j’avais carte blanche pour l’histoire en elle-même.
Après ça, Bilibok a lancé une campagne de crowdfunding, et en l’espace de quelques jours, on avait atteint les 100%. A la fin de la campagne, on était à 200%. C’était dingue, et hyper gratifiant.

Ta collaboration avec l’illustratrice Barbara Brun ?

Mon éditrice et moi avions cherché un type d’illustration qui puisse accompagné la poésie du texte, et les dessins de Barbara Brun s’y prêtaient parfaitement ! C’était très intéressant, de voir en amont comment l’illustration prenait le relais du texte ; de voir les premiers brouillons des personnages, et aussi d’expliciter les écueils qu’il fallait éviter, comme le fait de ne pas occidentaliser les traits des personnages, de montrer une diversité de carnation, de coiffures, de tissus. C’est une expérience créative géniale.

Qu’en est-il de la réédition de cet album par les éditions Cambourakis ?

Après que Bilibok ait fermé ses portes, on était soucieux de la réédition du livre, qui avait eu un bon démarrage et un certain écho à l’étranger. C’est toujours un peu particulier de proposer un livre déjà fait, mais les éditions Cambourakis avaient eu l’occasion de connaître ce projet, même de loin.
Je connaissais déjà leur collection féministe Sorcières, alors quand ils ont proposé de le rééditer dans celle-ci, c’était un peu comme assembler les pièces d’un même puzzle : COMME UN MILLION DE PAPILLONS NOIRS s’inscrit dans ma démarche afroféministe et littéraire.
Je suis extrêmement heureuse de voir qu’il sera disponible autant à l’échelle nationale qu’internationale, c’est une nouvelle aventure qui commence.

Illustration extraite de «Comme un million de papillons noirs», Laura Nsafou et Barbara Brun, Bilibok (2017)
Extrait de «Comme un million de papillons noirs» de Laura Nsafou et Barbara Brun

Que retiens-tu de ces expériences ? 

Pas mal de choses ! Je pense qu’il y a un vrai changement qui est en cours, que la diversification de la littérature est le résultat de plusieurs initiatives indépendantes.

Quel auteur aimerais-tu rencontrer ?

Les travaux de Toni Morrison et d’Octavia Butler me fascinent énormément. Plus le temps passe, et plus elles me marquent, même s’il y en a bien d’autres !
Honnêtement, je donnerais tout pour un après-midi avec Toni Morrison. J’ai énormément de questions à lui poser. Je serais tentée de débattre aussi bien de féminisme, que de littérature afropéenne. Je crois que c’est la seule auteure avec laquelle je chéris autant nos points de convergence que nos différends 😆
A bon entendeur !

Si tu étais une héroïne de littérature/BD ?

Anyanwu, de “Wild Seed”, sans hésiter. Métamorphe, femme forte, survivante de la traite négrière, résolument féministe, elle est vraiment inspirante.

Quelle relation entretiens-tu avec tes lecteurs ?

J’ai deux publics assez différents. A MAIN NUES recouvre un public féminin à la fois jeune et plus adulte, et la plupart des gens qui l’ont lu ont eu des témoignages très personnels. Je pense que comme l’histoire touche à l’intime, j’ai beaucoup de réactions en messages privés, ou lors de rencontres de salon, en fait.
Tandis que pour le livre pour enfants, il y a des témoignages manifestes – photos d’enfants, notamment les réseaux sociaux, un soutien, très présent, tout au long du projet, jusqu’à sa réédition. Il y a une vraie émulation.

La remarque la plus surprenante à propos de tes écrits ?

Je pense que c’est le fait de me demander pourquoi j’ai choisi d’écrire une scène explicite sur le plaisir féminin dans A MAIN NUES. J’ai tout de suite compris que j’avais touché quelque chose de tabou, apparemment réservé aux hommes puisqu’on ne demandera jamais à des auteurs masculins de justifier leurs textes sur leurs liaisons, la manière crue et sexiste de parler du corps des femmes, etc. Et effectivement, une lectrice m’a remercié des mois plus tard d’avoir exprimé le plaisir féminin en dehors d’un imaginaire sexiste.

Des conseils pour ceux qui aimeraient suivre ta voie ?

Je ne sais pas trop ce qu’est ma voie, en vrai 😆
Je pense surtout qu’il ne faut pas avoir peur de tenter de créer quelque chose. Au cours de mes ateliers d’écriture, beaucoup de femmes noires s’interdisent d’aborder certains sujets, et se mettent une réelle pression sur la légitimité de leurs propos. Alors qu’il faut bien commencer quelque part… Le premier texte semblera toujours bof, mais il faut voir ça autrement : le prochain texte sera toujours mieux, car on apprend à identifier ce qu’on ne veut plus.
Quand j’ai ouvert mon blog, je pensais sincèrement que personne le lirait – que je serais tranquille 😆 , et aujourd’hui il y a un peu plus de 10 000 visiteurs par mois.
Je pars du principe que mes lecteurs me font confiance, parce que j’ai appris à faire confiance en ma parole. Il y aura toujours mieux, et toujours moins bien, mais au moins, j’aurais dit ce que j’avais envie de dire.

Parle-nous de ton travail sur la réédition du Journal du Sida en ligne ?

J’ai travaillé une courte période sur la préparation de ce journal au format numérique, un travail d’archivage essentiellement, grâce à une militante afroféministe qui m’avait parlé du projet et qui m’a présenté à l’équipe éditoriale en charge du projet. J’ai énormément appris sur l’histoire du VIH en France, et surtout lu pas mal de numéros depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui.
C’était une véritable immersion dans une lutte qui peine à se transmettre auprès des nouvelles générations. Cette expérience m’a beaucoup sensibilisée et m’a poussée à m’intéresser aux corrélations entre expériences séropositives et afroféminisme, par la suite. Je n’ai pas fini d’apprendre sur le sujet, je continue d’être attentive au contexte actuel.

Auteure, blogueuse, militante afroféministe. Comment gères-tu ces différentes casquettes ?

Parce que je donne l’impression de les gérer ? 😆
J’ai appris à compartimenter, et aussi compris que j’étais souvent ma propre ennemie. Je suis d’un naturel impatient et je ne sais pas rester sans rien faire. C’est sincère, je dois maintenant me discipliner pour m’imposer du repos, et mon entourage y veille pas mal – et heureusement.
J’ai tellement d’idées et une vision très claire de la manière dont je veux les réaliser, de ce que je veux transmettre. Si je pouvais, j’aurais déjà ouvert une collection de livres dans une maison d’édition, écrit quinze livres, et écrit tous les articles qui sont en brouillon sur mon site.
Mais, je n’ai que deux mains, et une seule vie. J’apprends à faire une chose à la fois. Et puis, mon engagement afroféministe traverse toutes ces casquettes ; je suis aussi afroféministe dans mon quotidien que sur mon blog ou dans mes projets et productions.

Où pourra-t-on te croiser ?

Le 23 mai, j’animerai une table ronde à la Colonie dans le 10e arrondissement, à Paris. Le 23 juin, je serai présente au rendez-vous de l’association culturelle Diversité  Kids dont je suis membre.
Sinon, je termine le Cycle d’ateliers d’écriture “De quelle couleur est ta peau noire ?” co-animé avec l’association Ataye – c’est complet, mais ça sera très cool ; et une journée créative AFROLAB qui donnera les clés aux participants pour créer leurs médias (podcasts, chaînes YouTube, édition papier ou numérique, etc).
En septembre, il y aura la sortie de COMME UN MILLION DE PAPILLONS NOIRS aux Éditions Cambourakis, une réédition disponible en librairies, en France et à l’international.
Et enfin, j’ai une trilogie fantastique afroféministe que je viens d’achever et qui cherche un éditeur pour l’adopter 😆
Affaires à suivre, donc !

Un dernier mot ?

Si jamais quelqu’un a besoin que j’interviewe Toni Morrison pour un entretien sur les littératures afro, je peux faire de la place dans mon agenda, y a pas de soucis 😆

  • CALLIE, JUSTE VOUS ET MOI – Ed. Bajag-Meri paru en 2009. Indisponible
  • A MAIN NUES – Ed. Synapse depuis avril 2017
  • COMME UN MILLION DE PAPILLONS NOIRS – Ed. Cambourakis le 05 septembre 2018

3 comments

  1. Woaw ! Bravo à elle pour son parcours ! J’aurai bien aimé écrire un livre, bon je suis jeune, j’ai encore le temps d’en écrire un 🙂 J’ai une petite idée de roman depuis le milieu de mon adolescence. Un roman dans le thème thriller 🙂 J’espère qu’un jour je vais réaliser ça 🙂
    Bisous.

    1. Quand je pense qu’elle a écrit son premier roman à 16 ans alors que je me traîne un tas des feuillets laissés en suspens depuis une vingtaine d’années 😀
      Bises

      1. En réalité, elle l’a écrit à 14 ans et il a été publié à 16.

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